Si de nombreuses études se sont penchées sur l’impact des infox sur ceux qui les lisent, peu de travaux permettent de comprendre ce que font ces lecteurs avec de telles informations trompeuses. Dans cet article, Romain Badouard, Maître de conférences en Sciences de l'information et de la communication à l’Université Paris II Panthéon-Assas, aborde ce sujet en posant les questions suivantes : « de quoi débat-on, et comment débat-on, lorsque des « fake news » sont utilisées comme ressources principales des échanges ? ».
Pour restituer les caractéristiques des débats autour de fake news en circulation, l’analyse proposée dans cette étude porte sur deux corpus distincts. Le premier est un corpus de 234 articles publiés en 2017 relevant de fausses informations politiques. Ces articles ont été recensés dans la base de données du Décodex du journal Le Monde.
Il ressort des analyses de l’auteur que 60 % de ces fake news visent Emmanuel Macron. Elles ont été partagées près de 2 millions de fois sur Facebook. Les fake news du corpus relaient majoritairement une pensée anti-système, souvent proche de l’extrême droite. L’impôt et les dépenses publiques en constituent les thèmes principaux (près de 50 % des cas). Il s’agit souvent d’annoncer de nouvelles taxes en direction des citoyens et de dénoncer le gaspillage des ressources publiques par les élus. Ces thématiques sont aussi celles qui génèrent le plus d’engagements de la part des utilisateurs de Facebook. Ceci suggère un comportement opportuniste de la part des créateurs de fake news, qui semblent se concentrer sur les sujets attirant le plus l’attention du public.
Le second corpus regroupe 350 commentaires liés aux articles en question et tirés de fils de discussion sur Facebook. Romain Badouard analyse ces commentaires selon la grille de lecture suivante :
L’Adhésion au message : ¼ des commentaires critiquent la fake news commentée, ¾ vont dans son sens. Badouard note que les pages Facebook explicitement politisées sont celles qui accueillent le moins de contradictions lorsqu’elles partagent des infox. Dans ce contexte, les discussions autour des fake news « s’apparentent à des chaînes d’indignations » de la part des commentateurs. Lorsque les infox apparaissent sur des pages moins politisées, le débat est davantage contradictoire.
La politisation du débat : 70% des messages sont d’ordre politique. Cependant, moins de la moitié de ces messages assument explicitement un positionnement politique. Quand ils le font, ils s'affichent majoritairement comme anti-Macron, pro-extrême droite ou anti-système. La politisation des discussions est en grande partie dépendante de l’article commenté. Lorsque l’article est politique et clivant, les échanges à son sujet le seront tout autant. Cette dynamique n’est pas propre aux fake news, elle correspond à celle des « discussions politiques du quotidien » telles qu’elles sont observées par les sociologues. Le contexte de ces discussions détermine en grande partie la teneur des propos et le degré de violence qu’elles contiennent.
La violence expressive : Badouard note que « la tonalité globale des échanges est plutôt violente ». Cette violence verbale est notamment dirigée à l’encontre des migrants, des journalistes, de la gauche, de l’Islam et d’Emmanuel Macron. Généralement, les discussions prennent la forme de “défouloirs”. Les infox sont ainsi le prétexte d’une libération de la parole. En ce sens, le commentaire des fake news par les internautes ne diffère pas significativement de celui des informations médiatiques fiables.
Le fact-checking : 17 % des commentaires consistent en interventions visant à dénoncer la fausseté de l’article concerné. Cependant, ces interventions n’ont pas d’impact significatif sur la tournure des discussions. Badouard cite un article de Vraga et Bode (2017) pour expliquer cette impuissance du fact-checking à convaincre. Selon l’étude citée, pour fonctionner, le fact-checking doit être massivement soutenu et toucher des populations indécises. On comprend dès lors que les chances de succès du fact-checking sur des pages Facebook militantes sont particulièrement minces.
En conclusion, les fake news permettent une libération de la parole, parfois violente et haineuse, concentrée sur la dénonciation des élites et autres « figures » clivantes : le migrant, le journaliste, etc. Cette libération de la parole est facilitée par la constitution d’espaces militants en ligne qui marginalisent les prises de paroles contradictoires.
Cependant cette libération de la parole politique violente n’est pas propre au commentaire de fake news. Elle s’observe dès lors que le sujet traité est politiquement clivant. Il apparait ainsi que dans le cas d’informations provenant de médias traditionnels comme dans celui des fake news, ce qui est en jeu c’est avant tout la manifestation d’une conviction d’ordre politique par les internautes.