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Les réseaux sociaux et les fake news pendant les élections américaines de 2016

Hunt Allcott et Matthew Gentzkow

Cet article publié en 2017 est aujourd'hui l'un des plus cités dans la littérature scientifique sur les fake news. Il est l'un des premiers à s'être intéressé au phénomène. La Fondation Descartes vous en propose un résumé détaillé. Les lecteurs pressés pourront se rapporter directement à la conclusion.

Aurélien Brest
Chargé d'études en psychologie cognitive à la Fondation Descartes

Contexte

De nombreuses fake news ont circulé lors des élections de 2016 aux États-Unis. La plupart visant le camp démocrate ou défendant le point de vue républicain, certains commentateurs se sont publiquement inquiétés que l'élection de Donald Trump ait pu être favorisée par ces fake news.

Si cet article ne permet pas de trancher sur cette question, il fournit, en revanche, des données intéressantes pour mieux comprendre le phénomène des fake news lors des élections présidentielles américaines de 2016.

Aspects théoriques

L'article définit les fake news comme des informations intentionnellement fausses susceptibles de tromper le lecteur. Les informations satiriques et parodiques qui circulent sur le web sont donc inclues dans cette définition. Les auteurs justifient ce choix en mentionnant l'information fausse qui affirmait que le Pape soutenait le candidat Trump aux élections. Les auteurs de cette fausse information cherchaient à provoquer le rire en montant ce canular mais l'information ayant été massivement partagée, il semblerait que de nombreux individus aient réellement cru que le Pape soutenait Donald Trump.

L'article propose ensuite un modèle de l'économie des fake news. Les médias qui produisent des fake news peuvent être encouragés à le faire dans la mesure où les consommateurs ont parfois tendance à privilégier les informations qui vont dans le sens de leurs croyances. Donc une information, même si elle est fausse, a des chances d'être lue et crue si elle correspond aux attentes de l'individu. Certains médias pourraient ainsi privilégier les informations fausses qui correspondent aux attentes du public. Les auteurs font l'hypothèse que le contexte des élections présidentielles américaines a pu favoriser l'apparition de sites Internet douteux pourvoyant des infox politiques. Les individus attendraient des informations positives sur leur candidat sans se soucier de la véracité de ces informations. Ces médias opportunistes profiteraient de cette demande pour fidéliser leurs lecteurs grâce aux infox. Cependant, diffuser des informations fausses peut, à terme, nuire à la réputation d'un journal. Or, la réputation d'un journal est vitale pour son économie. Pour contourner ce problème, les médias d'infox ont pu s'appuyer sur la structure des réseaux sociaux pour diffuser leurs contenus. En effet, la publication de contenus sur les réseaux sociaux a un coût virtuellement nul, tout acteur peut donc se mettre sur ce marché et produire des fausses informations qui se mélangeront avec le reste de l'actualité. Cela favorise les stratégies de court terme : ces médias publient des contenus de faible qualité sur un temps court, disparaissent et se reforment sous une nouvelle identité. La réputation du média ne rentre donc plus dans la stratégie de diffusion de contenus, seule compte l'attractivité des informations proposées sur les réseaux sociaux.

Méthode développée

Les auteurs ont déployé un questionnaire le 28 novembre 2016 (deux semaines après l'élection de Donald Trump). Le panel des participants (1200) n'étant pas représentatif de la société américaine, les auteurs ont redressé leur échantillon pour s'en rapprocher au mieux. Ce questionnaire comprend, outre des renseignements démographiques, sociaux et politiques sur les individus interrogés, 15 titres d'informations médiatiques (headlines) au format Facebook. Il est demandé au participant de répondre pour chaque titre d'information médiatique si a) il se souvient l'avoir déjà vu sur le web ; b) s'il l'avait jugé, à l'époque, vrai ou faux.

Ces 15 titres sont aléatoirement présentés aux participants sur la base d'un panel de 30 titres sélectionnés par les auteurs. La moitié des 30 titres est orientée en faveur de la candidate Clinton et l'autre moitié en faveur du candidat Trump. Parmi ces 30 titres, 20 sont faux. Pour savoir si les participants ont un souvenir exact des informations qu'ils ont croisé sur les réseaux sociaux, les auteurs ont introduit dix informations inventées (appelées placebos) parmi les vingts titres d'informations fausses. Si les personnes sondés déclarent se souvenir de ces placebos, cela signifierait qu'ils ne sont pas capables de souvenir correctement des informations qu'ils ont lu sur les réseaux sociaux avant l'élection présidentielle.

Les résultats

L'exposition aux fake news. En moyenne, 15% des participants ont indiqué se souvenir avoir été exposés aux fake news réelles. Ils sont 14% a avoir indiqué se souvenir des placebos. Parmi les participants, 8% rapportent avoir cru les fake news réelles et 8% les placebos. Ainsi le placebo est reconnu et cru par autant de participants que les fake news ayant réellement circulé sur les réseaux sociaux. Les participants ne semblent donc pas en mesure de distinguer correctement ce qu'ils ont réellement vu sur ces réseaux sociaux. Les auteurs estiment cependant que la faible différence observée entre le taux de reconnaissance des fake news et des placebos permettrait d'extrapoler à combien de fake news, en moyenne, les américains ont pu être exposés. En rapportant cette différence entre fake news réelles et placebos au nombre de fois où les fake news réelles utilisées dans l'étude ont été partagées sur Facebook, les auteurs estiment qu'un américain pourrait, en moyenne, avoir vu et s'être souvenu d'une fake news sur les 10 sélectionnées.

La prévalence des fake news sur les réseaux sociaux. Selon le modèle théorique des auteurs, les fake news devraient se retrouver sur les réseaux sociaux. Pour tester cette hypothèse, les auteurs ont pu estimer la part que représentent les réseaux sociaux dans le trafic d'un panel de plus de 600 sites internet producteurs de fake news. Les réseaux sociaux représentent 41.8% du trafic sur ces sites. Il semble donc que les réseaux sociaux soient bien propices à la diffusion des fake news. La majorité de ces fake news ont été identifiées comme étant orientées pro-Trump (3 fois plus nombreuses que celles orientées pro-Clinton). S'il est impossible de déterminer si les fake news pro-Trump ont eu une influence sur le résultat des élections américaines, il faut tout de même souligner que lors de ces élections, les électeurs ont, semble-t-il, été davantage exposés à une campagne de désinformation favorisant le candidat Trump.

Les facteurs de la croyance aux fake news. Les auteurs proposent un modèle statistique pour déterminer ce qui permet de prédire qu'un individu se trompe en prenant une fake news pour une information vraie. Les facteurs identifiés par les auteurs sont le fait d'être partisan républicain (mais ce prédicteur est peu fiable selon le modèle), le fait d'utiliser les réseaux sociaux comme première source d'information, le fait d'être jeune (plus on est jeune et plus on a de chance d'être crédule selon le modèle), et le fait d'être comparativement moins éduqué que les autres. Enfin, les auteurs ont pu déterminer que les news pro-Trump étaient davantage crues par les républicains et inversement les news pro-Clinton l'étaient davantage par les démocrates. L'hypothèse des auteurs est donc confirmée : les individus ont tendance à être davantage crédules lorsque les informations vont dans le sens de leurs convictions politiques. Attention, ce résultat porte sur l'ensemble des titres médiatiques (vrais et faux) et pas seulement sur les fake news. En effet, le modèle ne permet pas de déterminer si ce résultat s'explique parce que les individus croient davantage aux vraies informations ou parce qu'ils sont davantage crédules face aux fausses informations (ou les deux).

Conclusion

Cet article a énormément influencé la littérature sur les fake news. Il a été l'un des premiers à en chercher les causes et à nourrir la réflexion avec des données empiriques. Il met l'accent sur la dimension économique des fake news qui est aujourd'hui bien documentée. Il a aussi pu établir que les fake news, en 2016, ont été majoritairement pro-Trump et donc contre Clinton. D'autres articles - pour lesquels nous proposont aussi des résumés détaillés - vont chercher à expliquer pourquoi certains individus sont davantage crédules face aux fake news.

Thématique :  désinformation  
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Edition :  Journal of Economic Perpectives  
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Pays :  États-Unis 
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Langue  :  Anglais 
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